Comment explore-t-on un microbiote ?
Il y a bien longtemps qu’on s’est intéressé à la composition microbienne de la « flore intestinale » (comme on avait coutume de la dénommer). Malheureusement, il a toujours été très difficile d’isoler et de caractériser les bactéries fécales, essentiellement parce que la plupart sont extrêmement sensibles à l’oxygène. La coproculture, pratiquée de longue date, permet certes d’identifier la présence de pathogènes aérophiles ou aérotolérants qui sont justement des intrus, mais passe à côté des centaines d’espèces anaérobies qui caractérisent le microbiote symbiotique.
L’idée prévalait donc qu’il y a dans notre intestin des colibacilles, lactobacilles, des bifidobactéries et quelques autres représentants anecdotiques – ce qui est bien loin de la réalité. Certes, des progrès dans les méthodes de culture ont permis d’isoler de plus en plus d’espèces (appartenant notamment aux genres Clostridium et Bactéroïdes) ; actuellement, on met au point quotidiennement des méthodes de culture spécifiques pour de nouvelles espèces. Néanmoins on est encore loin de pouvoir cultiver en routine la plus grande part des 1500 espèces (au moins) qu’on estime être des commensaux de l’homme.
Un premier bouleversement scientifique a été la découverte de la phylogénie ribosomale, à la fin des années 70 par Carl Woese (mort en 2012 sans le prix Nobel qu’il aurait bien mérité). On appelle phylogénie l’analyse de la proximité génétique. Deux espèces génétiquement proches seront regroupées dans un même genre, deux genres proches dans une famille etc. Cette taxonomie « darwinienne » plutôt que « linnéenne » a conduit Woese à classer le vivant en trois règnes : les bactéries, les archées et les eucaryotes. Et l’on s’est aperçu que les microbiotes (et particulièrement celui des intestins) contiennent non seulement des bactéries et des champignons, mais aussi des archées dont le rôle est loin d’être négligeable… par exemple parce qu’elles produisent du méthane.
La méthode ribosomale mise au point par Woese consiste à séquencer les gènes qui codent la structure du ribosome. Cette dernière comporte d’une part un segment commun à tous les êtres vivants, strictement invariable parce qu’il est la table de lecture universelle sur laquelle s’opère la traduction du code génétique en protéines, d’autre part un segment variable exposé aux mutations aléatoires au fil des siècles. Ainsi, en choisissant une fraction du segment invariable, par exemple la fraction 16S, et en déchiffrant la séquence variable qui y est attachée, on peut étudier la « proximité évolutive » de ribosomes provenant d’organismes différents.
Ainsi les ADN codant pour la fraction 16S du ribosome peuvent être extraits d’un échantillon multimicrobien, afin d’en séquencer les parties variables. Il ne reste au bio-informaticien qu’à dessiner l’arbre phylogénique (dendrogramme) qui classe tous ces ADN selon leur ressemblance. Les plus similaires sont regroupés en OTU (operating taxonomic units), unités considérées comme représentatives d’espèces. On s’est ainsi aperçu qu’il y avait des multitudes d’espèces différentes là où l’on s’imaginait n’en trouver que quelques-unes ! Et encore la plupart de ces espèces ne sont connues que par leur signature 16S, sans qu’on sache à quoi elles ressemblent… Grâce à cette phylogénie 16S, le programme américain HMP (human metagenome project) a pu décrire il y a quelques années toutes les OTU des microbiotes humains (cutané, intestinal, vaginal, oropharyngé), avec leurs proportions relatives et leurs variations interindividuelles.