Sur un site pharmaceutique, un article sur la désertification médicale aborde le sujet de « l’abcès dentaire » et de l’impossibilité d’avoir accès dans des délais raisonnables à un dentiste. Loin de vouloir remettre en cause cette réalité de plus en plus courante. Le lecteur a été intrigué par le conseil au patient d’une préparatrice interviewée. À la réflexion, on peut légitimement se demander : « Y-a-t-il un pilote dans l’avion ? »
Infection et antiinflammatoire
L’interviewé affirme benoitement qu’elle conseille à ses clients souffrant d’un « abcès dentaire » un antiinflammatoire et un bain de bouche. On peut déjà s’inquiéter qu’elle puisse dispenser un médicament de cette classe. Nous imaginons que c’est à l’ibuprofène qu’elle fait référence. L’action antiinflamatoire en dessous de 1200 mg/jour de cette molécule reste à prouver, mais sa capacité potentielle immunodépressive peut favoriser la diffusion de l’infection si tout du moins l’infection est caractérisée. Dans tous les cas, cette indication n’est pas dans les RCP des dosages à 400 mg.
Comment peut-on affirmer une infection dentaire ?
Un abcès dentaire peut être une urgence surtout pour une personne fragile. Alors que la « rage de dent » peut être bénigne tout en étant douloureuse. Bien évidemment la douleur et le gonflement sont des symptômes, mais ils ne sont pas les seuls, la fièvre, la difficulté à avaler… sont des signes d’alerte qui obligent à orienter le client vers les urgences ; si tout du moins il ne s’agit que de la seule possibilité. Dans tous les cas le dentiste ne pourra intervenir sur un terrain infectieux.
Le rôle du pharmacien
Le conseil qui nous occupe montre à quel point le métier de pharmacien est complexe et nécessite une formation sans faille. Dans ce cas la solution imaginée entraîne une possible perte de chance. Le pharmacien a pour rôle de soulager et d’orienter, mais surtout pas de « bricoler » un traitement. L’ibuprofène proposé ne peut être conseillé que sur période courte pour des personnes sans facteurs de risque et certainement pas sans avis médical sur un terrain potentiellement infectieux. Il doit être déconseillé à des personnes fragiles ou âgées sauf à avoir des conséquences rénales, gastriques et cardiaques potentiellement graves. La prudence commande de conseiller le paracétamol sur une courte durée.
Alors, comment faire ?
Se former pour comprendre et envisager les facteurs de risque et éviter les pertes de chance. Proposer la mise en œuvre de protocole de prise en charge des situations à risque entre les différents professionnels de soin afin d’éviter de conseiller de mauvaises solutions pour gérer un vrai problème. Dans le cas qui nous occupe, aucune intervention chirurgicale ne sera possible si un abcès est diagnostiqué. La prescription d’un antibiotique permettra à plus ou moins long terme d’effectuer un soin efficace. Un protocole permettrait selon des critères rigoureux de proposer une solution sécurisée. Il est de plus en plus évident que ces situations de petites urgences comme une cystite, une angine potentiellement bactérienne, une douleur dentaire méritent d’avoir des réponses d’attentes efficaces sans l’intervention systématique des prescripteurs si t’en est qu’ils en soient toujours informés à postériori. Il est évident que les patients fragiles doivent être pris en charge dans les meilleurs délais. La désertification médicale va nous obliger à prioriser les demandes. Lorsque l’offre se raréfie, la demande et la qualité en pâtissent. Y a-t-il un réel avantage à ce qu’un médecin pratique systématiquement le renouvellement d’ordonnance tous les trois mois ? Un suivi semestriel, voire annuel, approfondi ne serait-il pas plus utile pour évaluer réellement l’efficacité du traitement ?
Soulager sans perte de chance
Soulager est un acte important et nécessaire, mais il ne doit pas susciter chez le patient l’espérance d’une guérison ou la certitude d’un diagnostic. L’éthique professionnelle impose la prise de recul nécessaire et l’information du client-patient. Agir sans prendre en compte toutes les conséquences potentiellement négatives de ces actes s’apparente à jouer à l’apprenti sorcier. Il est évident que la préparatrice interrogée croit bien faire, mais il y a beaucoup entre croire et s’assurer de bien faire.