Les dramatiques événements qui ont touché en phase I les volontaires sains d’une molécule agissant sur les cannabinoïdes rappellent que cette voie de recherche de médicament est complexe comme ont pu le constater de nombreux laboratoires à commencer par Sanofi avec son médicament l’Acomplia qui fut très rapidement retiré du marché après sa commercialisation (2 008). Pour autant, une analyse du dossier permet de comprendre à la fois la complexité et l’intérêt sans doute majeur de la mise au point de médicaments agissant sur les cannabinoïdes endogènes (endoCB), leurs agonistes, leurs récepteurs, et leur enzyme de dégradation.
Cannabis or not cannabis
Le cannabis renferme 500 molécules plus ou moins actives en dehors du THC, les cannabidiol (CBD), cannabinol (CBN) et cannabigerol (CBG) sont également présents dans le cannabis en quantités raisonnables. Le CBN a une faible affinité pour les récepteurs CB1 et CB, tandis que les cannabinoïdes non psychotropes CBD et CBG ont des influences négligeables sur les récepteurs clonés.
Bien que bien plus récente que celles les récepteurs opioïdes de la morphine (molécule exogène), la découverte en 1990 des récepteurs cannabinoïdes (CB 1 et 2) ouvre un champ de recherche exceptionnel. La relation avec le cannabis tient en ce qu’ils sont les sites d’élection de la molécule la plus concentrée dans la plante cannabis le delta9 – THC.
Après la découverte des récepteurs, est venue celle d’agonistes endogènes de CB1 et 2 dont les plus représentatifs sont des acides gras : l’anandanine (AEA) et du 2-arachidonoylglycerol (2-AG). L’existence de récepteurs et de molécules endogènes signe la réalité du système endocannabinoïde.
La voie des acides gras
Les prostaglandines ont déjà démontré l’importance physiologique des acides gras. La découverte des cannabinoïdes endogènes en a été une nouvelle étape déterminante et le fondement d’une recherche dynamique pour aboutir à la mise au point de nouveaux médicaments.
Agir sur les récepteurs CB1 et 2
Les récepteurs CB1 se répartissent principalement dans système nerveux central, alors que les CB2 se situent principalement dans les cellules immunitaires.
Les récepteurs CB1 est sont en relation avec l’adenyl cyclase (inhibition), des kinases par effet direct ou par effet de cascade et sur des canaux calciques à la fois direct et potentiellement synergique avec un canal calcique spécifique : vanilloïde de type 1 (VR1) impliqués dans les phénomènes de détection de stimulus nocicepteurs et dans la transduction de l’hyperalgésie inflammatoire et thermique.
L’inactivation engendré par les CB de l’adenyl cyclase engendre une limitation de l’activité neuronale de certaines parties du cerveau et dans le même temps une action activatrice à contre-courant sur d’autres zones cérébrales. Les actions de CB endogènes sur les kinases orientent les recherches vers des traitements anticancéreux avec des résultats prometteurs sur le traitement des métastases. Il apparaît d’autre part que les endocannabinoïdes interviennent par leur activité rétrograde sur les systèmes GABAergique et favoriseraient un changement dans la plasticité neuronale plus particulièrement du noyau accumbens et l’extinction des mémoires d’aversion. Une meilleure connaissance de ce processus pourrait permettre d’envisager des traitements de lutte contre les addictions.
Le cannabidiol (CBD) est un inhibiteur du cytochrome P 450 administré en aiguë et un inducteur lors d’un usage chronique.
Agir sur l’enzyme de dégradation des cannabinoïdes endogènes
Sous l’effet du fatty acid amine hydrolase (FAAH) l’anandamine est transformée en acide arachidonique libre et en éthanolamine. De nombreux inhibiteurs de cet enzyme sont potentiellement des médicaments de la douleur, de l’inflammation et des troubles du sommeil.
Effets des cannabinoïdes sur le comportement
Les modèles animaux ont démontré l’effet antinoceptif des endos et exos CB. Cette modulation de la douleur est la conséquence de mécanismes supraspinaux, spinaux et périphériques inhibiteurs de la libération en autres de la substance P responsable de la transmission de la douleur. L’intervention des CB sur les récepteurs vanilloïdes limiterait aussi la sensation douloureuse. La prochaine commercialisation du Sativex associant THC et CBD et l’utilisation dans différents pays du cannabis à fin thérapeutique attestent de son intérêt dans le traitement des douleurs cancéreuses ou liées à des pathologies neurodégénératives puisque ces substances agissent aussi sur les spasmes musculaires.
Les CB augmentent les phases de sommeil lent et REM et diminuent la durée d’éveil. Le système endoCB aurait un rôle physiologique dans la gestion des états de sommeil et d’éveil.
Les effets des CB sur l’anxiété sont complexes à la fois anxiogènes à doses élevées et anxiolytiques à doses faibles.
Un endoCB l’oléyléthanolamide est impliqué dans le contrôle physiologique de la prise alimentaire. Les CB stimulent l’appétit alors que leurs antagonistes sont anorexigènes (rimonabant agoniste inverse par exemple). Les CB sont aussi connus pour leur effet antiémétique.
Les autres effets thérapeutiques potentiels des CB
La THC réduit la pression intraoculaire sans que l’on en ait déterminé le mode d’action, par contre son efficacité thérapeutique sur un glaucome nécessite des prises régulières et fréquentes incompatibles avec un traitement quotidien. Des analogues synthétiques et la recherche de véhicule non irritant du THC pour un usage topique sont à l’étude.
Certains CB auraient une activité antiépileptique.
La découverte des récepteurs cannabinoïdes et des endocannaboïdes ouvre des champs à la thérapeutique pour les petites molécules et des perspectives d’une nouvelle aire de potentiels « blockbusters » loin de la biotechnologie et de ces médicaments de niches. Il y a tout de même un pas de géant entre le probable et le possible. La complexité de l’action des endoCB ou de leurs récepteurs et l’intrication de leurs effets incite certainement à la prudence.
À ceux qui voudraient favoriser la confusion entre cannabis et cannabinoïdes, il est nécessaire de rappeler qu’un médicament est l’héritier du pharmakon à la fois bénéfique et dangereux et que tout tient à l’usage que l’on en fait.
À prendre en compte
La molécule testée à Rennes lors de l’essai clinique sur volontaires sains est un inhibiteur l’enzyme de dégradation (FAAH) de l’anandanine (AEA). Les effets indésirables neurologiques sont survenus sur des volontaires après l’administration de doses répétées. Sources : Essai mortel à Rennes : questions autour des récepteurs cannabinoïdes Article Quotidien du Médecin 18/01/2016
Charu Sharma, Bassem Sadek, Sameer N. Goyal, Satyesh Sinha, Mohammad Amjad Kamal, and Shreesh Ojha Small Molecules from Nature Targeting G-Protein Coupled Cannabinoid Receptors : Potential Leads for Drug Discovery and Development Evidence-Based Complementary and Alternative Medicine Volume 2015, Article ID 238482, 26 pages http://dx.doi.org/10.1155/2015/238482
Cannabis ? Quels effets sur le comportement et la santé ? Système endocannabinoïde et cannabinoïdes exogènes Chapitre 14 http://www.ipubli.inserm.fr/handle/10608/40
Laurent Venance Le système endocannabinoïde central Médecine/Science Janvier 2004 Volume 20 n° 1
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Harold Kalant utilisation du cannabis à des fins médicales : historique et situation actuelle site parlement du Canada (consulté le 18 janvier 2016)
Bibliographie utile :
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