Le pamplemousse au banc des accusées

Le pamplemousse au banc des accusées

23 décembre 2015 - 19 h 28 min
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Le jus de pamplemousse ou plutôt une substance qu’il contient (possiblement la furanocoumarin) est un inhibiteur irréversible, mais compétitif du CYP3A4. Voilà qui est dit avec certitude et ce qui nous conforte à répéter en chœur le refrain qu’il ne faut pas boire du jus de pamplemousse si l’on prend une statine. Si tout cela n’était pas un peu trop rapide.

Statine et pamplemousse??

Soyons immédiatement clair  seules deux statines la simvastatine et l'atorvastatine subissent l’effet du CYP3A4 isoenzyme du CY (cytochrome) P450. La simvastatine (et la lovastatine non commercialisée en France) est plus particulièrement impliquée puisque ses concentrations sanguines sont fortement accrues lorsque la molécule ne subit plus de dégradation hépatique (et intestinale) du CYP3A4. Par contre les autres statines ne le sont pas (pravastatine, rosuvastatine, fluvastatin) puisque non métabolisées par le CYP3A4.

Simvastatine et…

85 autres molécules sont susceptibles d’interagir avec le jus de pamplemousse en augmentant la dose circulante et 43 le sont en majorant fortement les risques d’effets indésirables liés à chacune des molécules. Parmi celles-ci, on découvre aussi bien des agents anticancéreux que des antibiotiques ou des médicaments du système cardiovasculaire ou des immunosuppresseurs ou encore des traitements du VIH, mais aussi un anti nauséeux.

De quoi parle-t-on exactement??

Le CYP3A4 se trouve à la fois dans les entérocytes de la paroi intestinale et dans les hépatocytes. Son action entraîne une diminution importante des concentrations circulantes des molécules impliquées.

L’interaction avec un inhibiteur du CYP3A4 est d’autant plus préoccupante qu’elle est associée à une biodisponibilité faible. En cas d’inhibition métabolique, la posologie usuelle devient dès lors inadéquate et dangereuse puisque favorisant d’autant la survenue d’effets indésirables.

Le CYP450 de type 3A4 n’est pas le seul isoenzyme en jeu dans la métabolisation hépatique. Les principaux CYP impliqués dans le métabolisme des médicaments sont les suivants : CYP1A2, CYP2C8, CYP2D6, CYP3A4. Différents isoenzymes interviennent le plus souvent dans la métabolisation d’une même molécule ce qui limite d’autant le risque d’une interaction majeure. Au moins la moitié des médicaments sont métabolisés par le CYP3A4. La simvastatine comme d’autres molécules souffre d’une voie métabolique particulièrement centrée sur ce CYP.

Les CYP peuvent aussi bien être inhibés comme nous l’avons vu qu’induit par l’alcool, le tabac ou le millepertuis ou des médicaments anticonvulsivants, antiinfectieux. L’induction s’exerce le plus souvent sur un ensemble de CYP et apparaît plus lentement. Alors que l’inhibition intervient rapidement.

Seulement le pamplemousse??

D’autres agrumes sont aussi potentiellement inhibiteurs des CYP et le jus d’orange n'en serait pas exempt. Il faut aussi raison gardée, car notre consommation de jus de pamplemousse est différente de la consommation américaine. Les interactions apparaissent pour une consommation d’au moins 200 ml pour une journée. La répétition des prises et la durée de la consommation sont aussi à prendre en compte. L’effet inhibiteur n’est plus d’un quart au bout de 24 heures. Un verre de jus de pamplemousse pris de manière épisodique n’apparaît donc pas comme un risque, alors qu’une consommation régulière est potentiellement préoccupante surtout chez des sujets à risque.

Faut-il interdire le pamplemousse??

Il est tout de même utile de rappeler qu’aucune étude épidémiologique exhaustive ne permet de se faire une opinion nette des conséquences réelles de la consommation de jus pamplemousse sur la sécurité d’un traitement. Il est aussi nécessaire de prendre en compte la variabilité interpersonnelle des effets d'un médicament ou d'une substance contenu dans un aliment tant en fonction des spécificités de son effet réel sur ses récepteurs, de son impact sur le métabolisme de l’individu, que de l'importance de sa  consommation ou utilisation dans un environnement particulier.

La prudence conseille  que pour des personnes pour lesquelles le traitement doit être particulièrement stable, il soit absolument nécessaire d’éviter une consommation régulière de pamplemousse, car des incidents graves sont possible. Comme, il est utile de prendre en compte toute autre interaction alimentaire, médicamenteuse ou comportementale (consommation de cigarette) lors de l’analyse du traitement.

Il est aussi utile de rechercher une consommation régulière de pamplemousse devant des incidents inhabituels ou la survenue d’un effet indésirable.

Que peut-on dire au patient??

Ne pas favoriser les amalgames (parler des statines par exemple) et rechercher avant tout l’efficacité de l’information. Présenter votre conseil selon ce qu’il permet de faire : « si vous prenez régulièrement un jus de fruit le matin, je vous conseille le jus d’orange plutôt que de pamplemousse avec ce médicament ».

Référence:

David G. Bailey BScPhm PhD, George Dresser MD PhD, J. Malcolm O. Arnold MB BCh MD  Grapefruit–medication interactions: Forbidden fruit or avoidable consequences? CMAJ, March 5, 2013, 185(4)

Interactions médicamenteuses et cytochromes - ANSM : Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé http://ansm.sante.fr/Dossiers/Interactions-medicamenteuses/Interactions-medicamenteuses-et-cytochromes/(offset)/1

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