Propos sur le projet du Code de déontologie

Propos sur le projet du Code de déontologie

2 octobre 2016 - 16 h 06 min
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L’Ordre a finalisé le 6 septembre son projet de Code de déontologie. Le CVAO en a fait une lecture critique c’est-à-dire une analyse argumentée afin de donner son éclairage. Vous trouverez sur le site une analyse des articles qui nous ont semblé les plus à même de répondre à notre but : la valorisation de l’acte officinal. À ceux qui critiqueraient ou considéreraient notre intervention comme tardive, le CVAO rétorquera qu’il n’a été convié à aucune des réunions de travail pour donner son éclairage.

À titre général, bien que le nouveau texte soit marqué par la volonté de réaménager, de compléter et de préciser le contenu du Code de déontologie. Nous avons à faire des commentaires sur : – la terminologie employée?; – les nouvelles obligations du pharmacien et?; – sur ce qui aurait pu y être ajouté voire amendé et sur ce qui a été retiré ou mis de coté.

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Un Code de déontologie pourquoi faire??

Pour Aristote la déontologie définit ce que l’on doit ou ne doit pas faire. Il s’agit donc de définir les devoirs qui nous sont imposés ou que l’on s’impose. Selon une définition courante, elle est l’ : «?ensemble des règles et des devoirs qui régissent une profession, la conduite de ceux qui l’exercent, les rapports entre ceux-ci et leurs clients et public?» (http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/d%C3%A9ontologie/23671) «?(…) Il est chargé de délimiter sous l’angle moral et éthique les conditions dans lesquelles doit s’exercer la profession. (…)?» (http://www.journaldunet.com/management/pratique/vie-de-l-entreprise/15294/code-de-deontologie-quelles-obligations-pour-les-professionnels.html)

Le Code de déontologie est un cadre qui détermine les limites éthiques (une réflexion argumentée en vue du bien agir selon la Commission de l’éthique en sciences et en technologie du Québec) et/ou morales (ensemble de valeurs et de principes qui permettent de différencier le bien du mal, le juste de l’injuste, l’acceptable de l’inacceptable, et auxquels il faudrait se conformer) d’une action ou les principes de fonctionnement d’une profession.

Le Code de déontologie peut aussi être défini comme le cadre que se donne une profession pour être «?vertueuse?» que cela soit entre ses membres ou entre ceux-ci et leurs clients.

Celui des pharmaciens est la base juridique sur laquelle les chambres disciplinaires de l’Ordre statuent. Il est aussi de par son intégration dans le Code de santé publique opposable pénalement et civilement à tout pharmacien parce qu’il fait loi.

Il est donc nécessaire de différencier : – le manquement à une pratique dont la conformité est établie par ses pairs (Code de déontologie) qui peut aboutir à une interdiction temporaire ou définitive d’exercer une profession et?; – la faute dont l’établissement des conséquences vis-à-vis d’un tiers ou de la société entraînera un dédommagement (civil) et/ou une peine (pénal). En d’autres termes la justice ne se donne pas autorité pour déterminer si un justiciable (personne physique ou morale) à la capacité ou la moralité pour exercer sa profession. En revanche, elle définit ce qui peut lui être personnellement reproché.

La différence entre éthique et morale n’est pas qu’un débat sémantique surtout si l’on considère que le projet, les objectifs et les moyens sont essentiels à la construction d’un édifice utile organisé pour favoriser une action au bénéfice du client — patient.

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Autorité ou responsabilité??

Les rédacteurs du projet de Code de déontologie utilisent pour désigner les membres de l’équipe officinale la notion de personne sous l’autorité. Dans le précédent texte, les salariés étaient des collaborateurs (notion non juridique). Le passage de collaborateur à personne sous l’autorité a certainement des avantages juridiques et répond à une volonté d’homogénéité, mais on peut estimer qu’il affirme le passage du collaboratif à la subordination, alors même que la pharmacie trouverait pour certains sa pérennité dans la délégation des tâches et la spécialisation des membres de l’équipe. Il eut été préférable d’utiliser la notion de responsabilité. Celle-ci traduit mieux le but éthique d’un code de déontologie.

La notion de personne sous l’autorité implique la subordination. La personne qui a l’autorité peut donner des ordres, vérifier la conformité des résultats obtenus et potentiellement sanctionner.

Dans cette acceptation, l’adjoint devrait pouvoir revendiquer un statut particulier puisqu’il n’est pas subordonné à la décision d’un tiers dans le cadre de son exercice pharmaceutique (art R 4235-3 et -35).

La responsabilité dans son acceptation plus générale est l’ : «?Obligation faite à une personne de répondre de ses actes du fait du rôle, des charges qu’elle doit assumer et d’en supporter toutes les conséquences.?» (http://www.cnrtl.fr/definition/responsabilité)

La responsabilité renvoie donc à la personne et à ses devoirs. Lorsqu’elle est juridique, elle affirme l’obligation de répondre de son comportement devant la justice et d’en assumer les conséquences civiles, administratives, pénales et disciplinaires soit envers la justice soit envers la société. Elle peut être pénale (devant la justice représentant la société) ou disciplinaire (devant ses pairs). (http://www.infos-patients.fr)

Le choix du mot autorité n’est pas sans conséquence. Nous considérons pour notre part que ce choix affirme la volonté de construire le Code de déontologie sur des bases morales et non éthiques. L’individu est défini en fonction de son niveau de subordination et non de responsabilité.

Patient ou client??

Le projet n’utilise jamais le terme client, il y préfère patient ou la paraphrase personnes qui ont recours à ses services. Un patient se définit dans un sens général comme une personne qui souffre ou qui est redevable d’un diagnostic ou de soins. Il apparaît que le Code de déontologie explore majoritairement la relation patient (celui qui souffre) — pharmacien (professionnel de santé), sans aborder la demande sociétale de se maintenir en bonne santé et le rapport du pharmacien avec des personnes qui ne souffrent pas ou qui ne sont pas en demande. Le rôle du pharmacien dans la prévention, la détection et l’orientation n’est pas ou peu exploré.

L’orientation qui pour le CVAO est l’action majeure du pharmacien dans le parcours de soins, n’a pas été reconsidérée ni mise en perspective. L’article R. 4235-17 : «?Chaque fois qu’il lui paraît nécessaire, le pharmacien doit inciter les personnes qui ont recours à ses services à consulter un autre professionnel de santé qualifié.?» est identique dans son contenu et sa formulation à celui du Code actuel.

Les notions de parcours de soin et d’inter-professionnalité ne sont pas ou peu évoqués. N’est-il pas déontologique que le pharmacien assure en partie le suivi du parcours de soins des patients qu’il connaît?? Le projet de Code aborde le suivi dans ces termes : Il doit, par des conseils appropriés et dans le domaine de ses compétences, participer au soutien apporté au patient. On peut s’étonner de l’emploi du mot soutien qui a été préféré à accompagnement. L’Ordre place donc le pharmacien dans un statut de «?bon samaritain?» vis-à-vis d’un patient supposé en état de faiblesse plutôt que comme un interlocuteur fiable capable d’accompagner vers l’autonomie son client c’est-à-dire une personne capable de décider. De nouveau, la morale s’impose à l’éthique.

Le terme d’humanisme a été employé à de nombreuses reprises par la Présidente de l’Ordre. Une des définitions de ce courant philosophique est : «?Attitude philosophique qui tient l’homme pour la valeur suprême et revendique pour chaque homme la possibilité d’épanouir librement son humanité, ses facultés proprement humaines.?» (http://www.cnrtl.fr/lexicographie/humanisme) Si l’on s’attache à cette définition, on peut concevoir le hiatus qu’il y a entre la volonté humaniste affichée et la rédaction du Code telle qu’elle nous est proposée.

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Ce qui aurait pu être inséré

Adapter le Code de déontologie aux moyens d’information des patients-clients

Le projet de Code de déontologie affirme que l’information communiquée directement ou indirectement par un pharmacien à son client se doit d’être honnête et non trompeuse. L’évolution des technologies de l’information fait que le patient - client est au contact d’une information plurielle plus ou moins qualitative (réseaux sociaux, Internet...). En tant qu’acteur de soin, le pharmacien se doit donc de donner des informations plus qualitatives et adaptées. Ces informations doivent être constamment actualisées aux meilleures sources. Bien que le projet de texte aborde ces problématiques, il nous apparaît que les obligations du pharmacien devraient s’ouvrir à la validation des informations qu’il délivre et au dévoilement des références sur lesquels le pharmacien appuie son conseil.

Inscrire la relation patient dans sa réalité d’aujourd’hui

La place du patient dans ce Code de déontologie reste celle d’un intervenant passif, celle d’un souffrant (patient). Il n’est pas abordé les droits patients et l’attitude ou le comportement que le pharmacien doit avoir dans sa relation avec lui. Les notions d’absence de jugement ou de nécessité de se cantonner à la proposition de solutions sont absentes ou insuffisamment précisées dans le projet de l’Ordre, alors qu’elles fonderont désormais la relation patient.

Il n’est en aucun cas fait mention des obligations du pharmacien dans ce qui est désormais le colloque singulier qu’il a avec son patient dans le cadre des entretiens pharmaceutiques ni des conditions qui président à l’accompagnement sur le long court des patients souffrants de pathologies chroniques. Le code de déontologie ne nous apprend pas grand-chose sur le rôle opérationnel du pharmacien dans la prévention, le dépistage ou la détection et l’orientation.

Donner des critères objectifs de réalisation

Les termes utilisés par les rédacteurs du projet dessinent à notre avis un cadre souvent flou aux obligations du pharmacien. Ils écrivent par exemple que : «?des informations et des conseils clairs, appropriés et adaptés à chaque situation.?» Le qualitatif clair est particulièrement signifiant de la posture de l’Ordre puisqu’il présuppose que puisqu’une information est claire pour son émetteur elle le sera pour son récepteur. La clarté n’est pas un gage de compréhension. Il eut été préférable d’employer le terme de compréhensible pour prendre en compte le patient-client. S’assurer de la compréhension et de la capacité à mettre en œuvre ce qui a été dit nous apparaît comme un critère d’efficacité du conseil et une obligation éthique pour un pharmacien responsable.

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Ce qui n’y est plus ou risque de ne plus y être

Qu’est-ce que l’acte pharmaceutique??

L’article R. 4235-62 : Le pharmacien doit s’abstenir de formuler un diagnostic sur la maladie au traitement de laquelle il est appelé à collaborer?; n’est plus inscrit dans la proposition de l’Ordre. Est-ce la volonté de ne pas aborder ce qui différencie l’acte pharmaceutique de l’acte médical??

De même l’article R.4235-48 définissant l’acte de dispensation pharmaceutique a été remanié, et déplacé du code de déontologie vers une section : «?Autres dispositions à insérer dans le code de la santé public?». Il stipule que : «?Le pharmacien doit assurer, dans le respect des règles déontologiques et des bonnes pratiques, l’acte de dispensation du médicament dans son intégralité associant à sa délivrance :

1 ° L’analyse pharmaceutique de l’ordonnance médicale si elle existe?;

2 ° La préparation éventuelle des doses à administrer?;

3 ° La mise à disposition des informations et les conseils nécessaires au bon usage du médicament.

Il a un devoir particulier de conseil lorsqu’il est amené à délivrer un médicament qui ne requiert pas une prescription médicale.

Il doit, par des conseils appropriés et dans le domaine de ses compétences, participer au soutien apporté au patient.?»

Nous sommes conscients qu’un article du code de déontologie ne peut faire double emploi avec celui de la loi HPST sur le rôle du pharmacien. Cet article existe déjà dans le Code de santé publique et de déontologie actuel, alors pourquoi ne le conserve-t-on pas?? Serait-il inutile à la juridiction disciplinaire de l’Ordre??

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Notre analyse s’efforce de montrer que l’Ordre aurait pu intégrer dans son projet de Code les nouvelles perspectives du métier de pharmacien. Bien évidemment, de nouvelles actions impliquent de nouvelles responsabilités, mais ouvrent aussi vers de nouvelles compétences et opportunités. Être un pharmacien humaniste n’est pas se cantonner à une relation bienveillante dans un rapport asymétrique tout à fait relatif à l’ère d’Internet et des réseaux sociaux. Être un acteur de santé responsable, c’est être capable de proposer, d’orienter, d’accompagner et de détecter. Est-il par exemple déontologique de ne pas rechercher les facteurs de risque iatrogène ou encore de ne pas actualiser ou valider ses conseils à des sources référencées?? On pourrait à juste titre rétorquer que cela fait partie des obligations imparties à la formation continue et au DPC, pour autant n’est il pas hautement déontologique que chacun s’assure que la sécurisation de son acte pharmaceutique est bien réelle??

L’Ordre aurait-il choisi de faire pencher son texte vers la morale au détriment de l’éthique?? Rappelons à titre d’exemple que les rédacteurs du projet ont préféré le terme d’autorité qui est en rapport avec un statut et fait référence à la subordination, à celui de responsabilité qui impose des devoirs. Le CVAO est partisan d’un pharmacien responsable capable d’affirmer une éthique, de créer de l’information utile, d’argumenter ses choix et d’être un interlocuteur compétent se basant sur des références opposables. Nous préférons être un acteur de soins qui choisit l’empathie et l’accompagnement vers plus d’autonomie pour son client-patient, plutôt que la compassion et l’autorité.

 

 

 

 

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